Rencontre
À l’occasion de la création du Studio Merchanfeeling , Béatrice Querette, directrice et fondatrice de l’agence Merchanfeeling, nous parle de sa conception du merchandising.
Béatrice Querette me reçoit dans les murs (sublimes !) de son Studio de création, en plein cœur du Marais, à Paris. C’est dans ce showroom que seront réunis pour les professionnels des secteurs mode, beauté, déco et luxe tous les éléments tendance de la boutique de demain. On y trouvera aussi bien des peintures « bio » non polluantes que des nouveaux concepts d’éclairages et de matériaux en passant par de nouvelles technologies de brumisation parfumée.
EM : Comment est né Merchanfeeling ?
BQ : Après douze années passées dans le luxe (groupe Richemont ndlr), j’ai eu envie de voler de mes propres ailes. J’ai travaillé tout de suite dans la formation en merchandising où j’ai eu la chance de rencontrer Alain Wellhoff, fondateur de l’IFM -Institut Français du Merchandising-, et auteur de la première « bible » du merchandising jamais parue en France. Il m’a demandé de participer à la sixième édition de son livre.
À l’époque, nous faisions le même constat sur les magasins. On les trouvait tristounets, sans âme et sans émotions. Les agences de communication et de design qui avaient repris le marché depuis les années 90’ en avaient fait des espaces très beaux, mais ils avaient oublié la marque… Avec Merchanfeeling, j’ai créé un studio de création capable de réconcilier les deux univers, celui de la marque et de la boutique. Une réconciliation que seul le merchandising est capable de faire aujourd’hui.
Il y a en effet une différence entre l’image voulue et l’image perçue. On sait construire des marques avec des belles images et puis quand on arrive en rayon, le soufflé retombe. Le rôle du merchandiser aujourd’hui c’est justement de faire en sorte que le soufflé ne retombe pas. C’est d’amener une concrétisation des valeurs des marques et surtout de rendre le magasin marchand, parce que ce n’est pas seulement un vecteur de communication, mais c’est aussi un lieu où il faut vendre.
EM : Vous faites partie des pionniers du merchandising en France ?
BQ : Nous n’en sommes en effet qu’aux prémices, ce qui est passionnant. En fait, on en est là où en était le marketing dans les années 60’/70’.
Nous organisons chaque mois un club de merchandisers, ce qui nous permet de mieux appréhender la réalité du métier aujourd’hui. Et nous constatons que tout est en train de se construire, que tout démarre maintenant.
Quand on y réfléchit, c’est logique ! Le marketing est arrivé à maturité, on maîtrise notre image, mais la concurrence est de plus en plus forte. Il faut donc passer à une autre étape pour se distinguer des concurrents. Et cette étape, c’est une image forte en boutique… grâce au merchandising.
EM : En quoi votre entreprise est novatrice ?
BQ : En tant qu’intermédiaires entre le marketing et l’architecte, les merchandisers font encore trop souvent figures d’OVNI dans les entreprises. Nous sommes pourtant un élément indispensable quant à la réussite d’un projet. Nous avons en effet le souci du client et du produit. Nous cherchons à savoir qui est le client, qui vient acheter le produit. C’est là toute notre différence… nous ne cherchons pas seulement à faire « joli » mais aussi à vendre et à satisfaire la clientèle de la marque, ce qui est le but recherché.
L’espace de vente est un lien entre la marque et le client. C’est le lieu physique qui matérialise ce lien. Aujourd’hui, on n’achète plus le produit dont on a besoin, mais on achète un produit pour ce qu’il représente. Pourquoi prendre un tee-shirt chez Petit Bateau plutôt que chez Gap ? C’est le même produit ! Mais les valeurs qu’ils incarnent sont différentes.
EM : Quelle est la particularité de votre approche ?
BQ : Nous faisons ce que l’on appelle du « merchandising émotionnel », c’est-à-dire que nous travaillons sur les cinq sens. C’est la meilleure façon selon nous de faire vivre une vraie expérience shopping aux clients des boutiques. On souhaite en effet que le client se sente bien dans nos magasins, seule condition pour qu’il revienne.
Nous travaillons également de façon durable. J’entends par là que nous concevons des boutiques dont l’identité perdure dans le temps pour que les clients ne perdent pas le fil… La tendance aujourd’hui est au changement de concept tous les quatre ou cinq ans, au risque de perturber le consommateur. Chez Merchanfeeling, nous préférons travailler sur du long terme en réfléchissant plus en profondeur sur l’identité de la marque. Ce qui bien sûr n’empêche pas d’évoluer dans le temps.
EM : Quelles sont les limites de votre action en tant que merchandiser ? Allez-vous jusqu’au recrutement du personnel sur le lieu de vente ?
BQ : Cela ne relève pas vraiment de nos prérogatives mais nous faisons néanmoins des préconisations précises afin que la politique merchandising mise en place dans une boutique soit bien comprise des équipes de vente. Ce sont elles en effet qui vont la faire vivre. C’est sur elles que repose le succès du projet.
Quand on va dans une boutique, c’est que l’on a besoin d’un conseil ou d’un avis. Sinon, on va sur internet…
EM : Pensez-vous que l’explosion du e-commerce oblige les marques à repenser leur stratégie sur le point de vente, et si oui comment doivent-elles se positionner ?
BQ : L’arrivée d’Internet a en effet obligé les marques à réfléchir à leur stratégie de distribution, ce qui est une bonne chose.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que jusqu’à aujourd’hui, on distribuait les produits dans les magasins. Maintenant, ce n’est plus vrai, vous avez Internet, vous avez les ventes à domicile, vous avez les Guérilla stores. Il fait donc arrêter de s’endormir sur ses lauriers, il faut réinventer la boutique.
40% des transactions Internet aujourd’hui sont du textile. Je me pose la question : pourquoi les gens qui achètent du textile achètent sur Internet ? Moi quand j’achète un vêtement, j’ai envie de le voir, de le toucher, de l’essayer, de le sentir, d’aller dans le magasin, de me faire conseiller, de sortir avec mon paquet… J’ai interrogé les gens qui achètent sur Internet et voilà ce qu’ils m’ont répondu : parce que chez moi, c’est plus confortable, c’est plus pratique… Cela veut dire que le plaisir d’aller dans une boutique n’est pas suffisant pour sortir de chez soi. Le constat est clair : les boutiques ne font plus rêver. Parmi les griefs : « Il fait trop chaud, la vendeuse est désagréable, la musique est trop forte, c’est la queue à la caisse, les éclairages vous abîment les yeux, on ne trouve pas ce que l’on veut… » Bref, cela devient une corvée.
Il y avait le guérilla marketing, je me suis dit, on va faire du guérilla merchandising !
Les marques commencent à prendre conscience du phénomène: Petit Bateau par exemple joue la complémentarité des deux circuits en proposant sur son site Internet des produits exclusifs tout en créant du trafic vers ses boutiques physiques.
Autre exemple : Natura Brasil, marque de cosmétiques brésilienne numéro un en Amérique du Sud. Ils ont voulu venir en Europe. Ils ont eu une réflexion sur comment aborder le marché mondial ? Une marque de plus dans les boutiques… cela fait peur. Ils ont eu l’intelligence d’aborder l’Europe par trois canaux : la boutique classique à Paris, le site Internet et les ventes à domicile. Ainsi, ils développent leurs produits sur ces trois créneaux et se développent trois fois plus vite. Les gens qui sont sur Internet viennent à la boutique, les gens de la boutique vont sur Internet, ils recrutent leurs hôtesses par les gens qui vont sur Internet, par les gens qui viennent à la boutique...
EM : Vous avez vous-même un site Internet ?
BQ : Internet est un outil extraordinaire pour créer du réseau, travailler les synergies, se faire connaître, échanger… Chez Merchanfeeling, nous avons eu un site tout de suite pour ces raisons mais aussi pour juger sur pièce de l’importance du phénomène. Conclusion, Internet est un outil dont il faut absolument se servir. Il ne faut pas en avoir peur, il faut au contraire l’utiliser à bon escient. Et pour les boutiques, cela leur permettra - j’en suis sûre - de se réinventer. À nous de créer le e-merchandising…
EM : Internet doit donc aider les marques à créer de nouvelles synergies mais aussi à se remettre en question dans leur façon de capter leur clientèle ?
BQ : Exactement. Avant, on faisait de la publicité et les gens venaient chez vous. Aujourd’hui, il faut aller chercher les clients. Cela veut dire qu’il faut avoir d’autres moyens de communication que la publicité. Internet fait partie de ces moyens. Mais pas seulement. La boutique doit aussi devenir un vrai média pour la marque.
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