Emmanuel Carbillet, directeur du département Merchandising International et Image de la Division Produits Grand Public de L'Oréal, décrypte les enjeux d'un métier peu connu et pourtant primordial dans la stratégie de vente d'un produit : le merchandising.
Quelle définition donneriez-vous du merchandising, métier inconnu du grand public ?
En ce qui concerne L'Oréal, le merchandising est l'expression de la stratégie marketing de nos marques sur les points de vente. L'objectif est de retranscrire tout ce que l'on a voulu dire sur nos marques, sur nos produits, et de montrer à la consommatrice comment nos gammes sont organisées. Il s'agit donc d'une forme de marketing puisque nous travaillons avec les mêmes méthodes que si nous concevions un produit. C’est de l’analyse du comportement du consommateur que naissent toutes nos réalisations.
Vous venez de remporter le Prix Spécial du jury de l'Institut Français du Merchandising pour le Dream Wall de L’Oréal Paris. Pouvez-vous nous décrire au travers de ce projet, le processus de création d'un nouveau mobilier pour une marque ?
Première étape, la conception du mobilier. Pour cela les équipes marketing et merchandising international travaillent de concert . La première donne à la seconde les grandes recommandations de représentation de la marque : codes couleur, logos, visuels à mettre en scène... Ensuite, l'équipe merchandising contacte des designers et spécialistes de l'architecture commerciale. Pour le nouveau mobilier de L'Oréal Paris, par exemple, nous recherchions un moyen de rehausser l'image de la marque tout en générant de la croissance.
Endéveloppant le Dream Wall pour L’Oréal Paris, notre objectif était triple. Faire un showroom de nos produits en renforçant l'achat plaisir, l'achat gourmand ; pour cela nous avons notamment joué sur la transparence et la lumière. Ensuite, nous voulions opérer une véritable cassure par rapport à tout ce qui se trouvait déjà sur le marché ; aux cubes empilés les uns sur les autres nous avons substitué des courbes, plus féminines, plus attractives, et choisi de présenter les produits à la verticale. Enfin, pour être en adéquation avec le positionnement de la marque, il nous fallait réussir une présentation très « premium ».
Cette récompense semble montrer que ces trois objectifs ont été atteints.
Une fois le nouveau mobilier conçu, faites-vous des tests auprès des consommateurs ?
Avant toute implantation massive d'un mobilier dans un pays donné, nous faisons des tests auprès de la clientèle par l'intermédiaire de société d'études. Le premier test est qualitatif. Nous réunissons des consommatrices auxquelles nous demandons si le nouveau présentoir correspond bien à l'image qu'elles se font de la marque, si ce qui est présenté à l'intérieur des éléments correspond à ce qu'elles recherchent.
Le second test est quantitatif. Nous implantons le mobilier dans une trentaine de points de vente. Pour le Dream Wall, le test s'est déroulé en Espagne. Il permet d'adapter le mobilier aux réalités du terrain : contraintes de stocks, d'encombrement d'espace, de luminosité… Ce n'est qu'une fois ce test validé que la deuxième phase, dite phase d'achat, commence. On détermine alors les quantités à produire avant de lancer un appel d'offre aux fournisseurs extérieurs. Aujourd'hui, le Dream Wall est présent dans 17 pays d'Europe sur 6000 points de vente. D'autres tests sont en cours en Amérique latine et en Asie. C'est un investissement promotionnel au même titre que la publicité ou les relations presse.
Est-il possible que certains types de présentoirs de produits de beauté fonctionnent très bien dans certains pays et non dans d’autres ?
C'est bien la difficulté. Un exemple : si la "bergerie" (produits de maquillage, testeurs et stockeurs présentés sur une table) rencontre un franc succès en Europe, son échec est assuré outre-atlantique.
Pour éviter ce genre de désagrément, notre équipe internationale travaille avec des équipes locales qui adaptent les mobiliers aux contrats de distribution locale et aux exigences de chacun de nos clients : moins de courbes, plus de stocks, mise en place de testeur ou inversement… C'est la méthode dite du "think global, act local".
L'approche de la création d'un nouveau mobilier pour vendre une marque diffère-t-elle selon le circuit de distribution auquel vous vous adressez ?
Pour chaque circuit, on tâche d'offrir une réponse totalement adaptée en termes de positionnement et de praticité. Ainsi, les « flagship », grands comptoirs luxueux où l'on peut trouver des conseillères beauté, sont-ils réservés aux grands magasins. Dans les parfumeries, vous trouverez plutôt des bergeries, dans le Drug, des présentoirs à l'image du Dream Wall et dans les supermarchés des produits sous blister accrochés à des broches. Il faut savoir qu'en Europe, 70% de la distribution cosmétique maquillage se fait dans le circuit Drug.
L'impact sur le chiffre d'affaires d'un nouveau mobilier de présentation de produits de beauté est-il vraiment perceptible ?
Absolument. Sur un circuit de distribution donné et à part de linéaire égale, le développement d'un nouveau projet merchandising dans la distribution génère entre 15 et 35% de hausse du chiffre d'affaires. Si nous reprenons l'exemple du Dream Wall, les ventes espagnoles ont augmenté de 21% en trois mois par rapport à l’année précédente!
Mais notre mission va plus loin. L'arrivée de nouveaux projets nous sert également d'argument pour négocier plus d'espace auprès de la distribution. Ainsi, nous proposons au client (distributeur) de lui fournir en avant-première le mobilier, qui de part sa nouvelle esthétique pourra peut-être rehausser le niveau de présentation dans son magasin ; en échange de quoi nous demandons un peu plus de place dans les rayons. C'est ainsi qu'en Espagne nous avons pu, dans certains magasins, agrandir notre espace L'Oréal Paris de 50%, passant d’un mètre à 1,50m.
Quelle est la durée de vie d'un mobilier ?
Nous calculons la durée d'amortissement du mobilier sur trois ans. Mais ce rythme est en train de s'accélérer de plus en plus du fait d'une concurrence plus importante. La durée de vie devrait rapidement descendre à deux ans.
Quelles seront les grandes tendances de demain en terme de merchandising ?
L'évolution de notre métier est parallèle à celles de la distribution et du comportement d'achat de la consommatrice. Ily a quelques années de cela, notre stratégie était de dire : "notre distributeur stocke et expose nos produits qui se vendent tout seul grâce à un bon compromis entre communication, prix et packaging ».
Or, une série d'études réalisées il y a 3/4 ans dans les circuits alimentaires en France a montré que 75% des prises de décision d'achat étaient faites sur le point de vente. L'achat d'impulsion prévaut donc.
Dès lors, l’environnement merchandising devient une donnée clé du développement d'une marque ou d'un produit. Nous sommes aujourd'hui en plein dans cette deuxième étape, celle-là même que les produits cosmétiques de luxe ont traversé il y a déjà 15 ans.
La prochaine étape sera celle que les produits de luxe sont en train de vivre actuellement. Les américains l'appellent la "shopping expérience". L'idée est de créer des espaces, non plus seulement pour vendre les produits, mais des espaces pour communiquer sur la marque, travailler son image, permettre au consommateur de découvrir son univers et d'avoir une expérience avec nos produits avant de les acheter. C'est une tout autre approche du produit mais qui colle parfaitement à nos marques puisqu'elles vendent du bien-être.
Quand pensez-vous vous lancer dans cette troisième phase ?
Nous avons déjà commencé avec l'ouverture, en décembre dernier, du premier L'Oréal Paris Store à Bucarest en Roumanie. Les Roumains peuvent ainsi découvrir nos produits sur plus de 300 m2 tout en s’accordant un moment de détente autour d’un soda au L'Oréal Paris Café.
( Vous pouvez retrouver cette interview sur le site de L'Oréal)
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