Pourquoi certaines boutiques attirent-elles irrésistiblement des visiteurs quand, sur le même trottoir, leurs voisines restent désertes ? Qualité du concept, agencement intérieur, efficacité du merchandising,... Voici des méthodes d’enseignes qui font recette et, si elles appartiennent souvent à des réseaux, rien n’interdit d’y piocher des idées. Aujourd’hui, l’univers de vente se décline comme une scène de théâtre.
Si un lieu réussit à créer une émotion et à proposer une expérience inédite, il touche l’acheteur qui sommeille en tout visiteur. Le concept porteur: un univers de séduction intimiste Cette invitation au plaisir se lance différemment selon les produits vendus.
Poussez par exemple la porte de l’étrange boutique Résonances à Paris-Bercy. Elle ressemble à un marchand de couleurs du siècle dernier téléporté dans un loft d’artiste.Transposé au cœur d’un agréable appartement haussmanien revisité lance Gérard Barrau, l’architecte qui a conçu l’espace pour cette chaîne d'objets d’intérieur et de bien-être, choisis par leur rareté ou leur valeur de retour aux sources.Intemporel, le décor de bois brut, aux formes simples, abrite une série de pièces découpées en espaces thématiques, du bien vivre (salon, espace cuisine) au temps pour soi (bain, relaxation), etc.
Antoine Lemarchand, président de Résonances, souligne l’efficacité de ce merchandising intimiste et affectif.Notre mise en scène donne un sens aux produits. Nous recréons un univers humain et sensible qui sollicite la mémoire intime et les racines de chaque visiteur. Cet ancrage est plébiscité par les visiteurs. Du coup, Antoine Lemarchand prévoit même d’inviter des artisans à venir travailler sur place !
Le réseau de magasin d’articles pour enfants Orchestra parvient lui aussi à séduire les visiteurs en jouant sur l’intimité : il propose aux mères une vision sublimée de l’univers de leurs bambins. Le point de vente met en scène, sur des surfaces allant de 600 à 1000 m2, un merchandising poétique, incarné par des cabanes de plages, des champignons et des arbres, éclairés au plafond par une constellation de planètes. Les visiteurs, guidés par une musique émaillée de bruitages d’oiseaux, se déplacent sur un sentier, tantôt souple, tantôt dur sous le pied. La traditionnelle exposition de chaussures prend la forme d’un mille-pattes qui fait la joie des petits, s’ils n’ont pas été retenus par le gros ours de l’entrée ou happés par l’aire de jeux et les ateliers d’éveil au fond du magasin. L’objectif est encore ici atteint : rendre la visite du magasin incontournable...
L’ambiance : les petits détails font les grosses ventes Peu de commerçants ont cependant les moyens d’investir les 1500 euros par mètre carré nécessaires, selon Architral, pour aménager ainsi tous les cinq ans leurs points de vente en bateau-phare du merchandising. Le magasin-spectacle reste donc une exception, mais aussi une source d’inspiration fructueuse pour les commerces indépendants... De nombreuses enseignes préfèrent des habillages périodiques dont les coûts ne dépassent pas 450 euros par mètre carré relève ainsi Bruno Gérôme, directeur de création chez Carré Noir, agence de packaging et de design d’intérieur.
Les ficelles de ces liftings partiels ? Introduire des touches de couleur, en installant de nouveaux meubles ou de nouveaux comptoirs de présentation, ajouter des éclairages ponctuels, voire changer le sol. Cette démarche rajeunit et donne un coup de peps aux boutiques, à condition toutefois de rester en cohérence avec le concept initial. Prudence aussi côté mise en scène.Un lieu théâtralisé à l’extrême peut inciter à la passivité. Il intimide et freine l’achat !
N’oublions pas que l’objectif d’un aménagement commercial est de dégager la plus forte rentabilité au mètre carré, prévient Pierre-Jean Richard, directeur des aménagements et des concepts de la Fnac. Dans cette optique, la lumière joue à moindres frais un rôle de premier plan dans l’ambiance d’un magasin. Pour mieux souligner le caractère onirique de son atmosphère, les magasins du réseau Orchestra font varier la luminosité sur des murs bleus pailletés au fil de la journée. Dans le prêt-à-porter, l’enseigne Caroll anime ses magasins par trois types de lumière.Une lumière qualitative, dorée et chaude, qui donne bonne mine ; un éclairage technique plus blanc, qui met en valeur ponctuellement les produits ; enfin, des projections colorées sur les rideaux des cabines ou dans la vitrine, détaille Georges Olivereau, président de Dragon Rouge, l’agence qui a conçu cet habillage visuel.
La vitrine : les techniques pour allécher... Autre levier à maniement subtil, pour convaincre le chaland : l’attractivité de la vitrine. Les règles de base pour composer une devanture consistent à agencer les articles ou les mannequins selon un cheminement triangulaire.Celui-ci part de la pointe du haut et se dirige vers le bas, à gauche puis à droite. Ce schéma peut être répété plusieurs fois, mais toujours en nombre impair.
Il faut ensuite veiller à l’harmonie des couleurs, à la qualité de l’éclairage et à la propreté, explique Delphine Bloch, chef de projet merchandising chez Intersports, enseigne d’articles sportifs. Pour faire vivre son magasin, les vitrines doivent être refaites chaque semaine. C’est du moins le rythme choisi par les grands noms du prêt à porter, comme la chaîne à succès Zara. Ses magasins s’ouvrent tous sur des vitrines très profondes, qui permettent une meilleure mise en scène de l’offre, et donnent donc envie d’entrer.
Pour autant, il n’existe pas un unique bon modèle de vitrine, valable pour toutes les boutiques. Plus le magasin souhaite se positionner haut de gamme, plus sa vitrine sera dépouillée et théâtralisée, de façon à communiquer un message simple et univoque. Quitte, pour un bijoutier à n’exposer qu’une seule bague, bien éclairée... Dans la vitrine de la bijouterie parisienne Obrey, régulièrement mise en scène par une étalagiste pour un budget moyen annuel d’environ 3 000 euros, un choix limité de bijoux est ainsi rehaussé par quelques orchidées. Un magasin plus populaire peut composer un tableau plus chargé, synonyme d’abondance.Chaque magasin est un cas particulier par son agencement et sa clientèle, confirme Laure Gambino, ancienne élève de l’Atelier d’étalage de Négocia et membre de l’équipe décoration Max Mara. Chez cette enseigne de prêt à porter de luxe, les vitrines sont différentes dans chacune des quatre boutiques parisiennes. Nous définissons les nouvelles présentations en tenant compte des résultats de vente de chaque ligne de produit, explique-t-elle. Les collections maisons sont cependant agencées en vitrine selon un dénominateur commun, celui des directives de la maison-mère italienne. Associations de couleurs, accessoires colonnes ou structures métalliques, personnalités des mannequins : rien n’est laissé au hasard, ou à l’art... Ce soin tout scientifique apporté à la décoration des vitrines renforce leur apport stratégique dans les ventes, que les commerces indépendants auraient tort de négliger.
Le recours à des professionnels du merchandising n’est cependant pas un passage obligé.La boulangerie située à côté de chez moi fait de très bonnes vitrines, avec un thème cohérent, de bonnes harmonies de couleur autour d’un plat en terre cuite, des œufs et de la farine par exemple, s’enthousiasme Laure Gambino.L’œil se régale sans se poser de questions. Bref, la définition d’une vitrine réussie !
L’agencement : concilier rationalité et évasion... Un bon agencement de l’espace ne se limite pas à la vitrine. À l’intérieur du magasin, il tient une place primordiale dans l’opération de séduction du spectateur-client. Son coût est faible, mais son efficacité décisive. Ses deux objectifs clés, apparemment contradictoires ? Permettre au client de trouver rapidement et facilement son produit, tout en l’incitant à découvrir d’autres articles. Bref, concilier sans faux-pas cheminement efficace et promenade de plaisir. La lisibilité des produits doit notamment être immédiate. Solaris, le spécialiste des lunettes de soleil, doit ainsi le succès de son pari à la clarté visuelle de son offre en magasin. Une recette simple, qui pourrait influencer les projets de réagencement d’opticiens indépendants... Ses 21 magasins français présentent sous une lumière chaude près de mille paires de lunettes, en les classant par marque, dans des linéaires en libre-service assisté. Les lunettes de chaque marque sont ensuite déclinées en cinq univers thématiques, du style urban au segment couturier. Le seul créneau des lunettes de couturiers, comme Gucci ou Chanel, représente 60 % des ventes en volume. Régulièrement, le merchandising maison vient donc soutenir ces produits de marque par une mise en avant, sous la forme de bandeaux promotionnels accrochés sur les devantures. Rien n’est négligé pour le visiteur... L’agencement intérieur doit aussi prendre en compte la dimension de flânerie qui anime chaque visiteur. Les chaînes de franchises et les succursalistes jouent, par exemple, en permanence sur le besoin de nouveauté physique du visiteur. Max Mara utilise un mobilier modulaire pour modifier chaque semaine la présentation interne de ses collections. La chaîne suédoise H&M change de place une dizaine de produits par jour. La nouveauté affichée fait ainsi revenir les coquettes, ou les gourmets... Dans un registre différent, le décor des restaurants Chez Clément, composé d’objets anciens, est régulièrement renouvelé pour surprendre sa clientèle. Pierre Blanc, le PDG de la chaîne de restauration, avoue consacrer une rente aux achats dans les brocantes. Et ici, comme dans le prêt-à-porter, la formule fait recette...
retrouvez cet article dans son integralité sur le site emarketing (parution n°101)
Commentaires